top of page

La dématérialisation de l’administration : un progrès pour les usagers ?

1. Vous avez dit dématérialisation ?


Les administrations publiques (Etat et collectivités locales) se sont engagées depuis quelques années dans un vaste mouvement de dématérialisation des relations avec leurs usagers.

Précisons : quand on parle ici de dématérialisation, il ne s’agit pas de l’informatisation des processus métiers (paie informatisée, gestion des dossiers d’aides sociales) mais bien de la suppression des flux papiers dans les relations avec les usagers : déclaration d’impôts, remboursement des dépenses maladie, obtention des cartes grises,… et ceci en amont (dépôt d’une demande) puis en aval (réception d’une réponse).

Malgré une extension évidente du champ de ces procédures dématérialisées, notamment par la DGFiP avec la déclaration d’impôt, il reste encore beaucoup d’interactions qui sont entièrement papier : démarches d’état civil, dépôt d’un permis de construire, demande de subvention, …

Souvent présenté comme une évidence, ce mouvement apporte-t-il vraiment un plus aux usagers, et plus globalement est-il positif pour la société ?


2. Des injonctions contradictoires


L’administration française est confrontée, de manière de plus en plus forte, à une double pression :

  • Celle de ses partenaires (collectivités, …) et usagers (particuliers, associations,…) qui demandent à pouvoir communiquer selon des standards « modernes », c’est-à-dire de manière dématérialisée, à tout moment et de manière fluide, sans ressaisie.

  • Et celle de la société civile (quelque fois les mêmes acteurs) qui s’inquiète de la fracture numérique mais aussi des impacts potentiellement dévastateurs que pourraient avoir les nouveaux modes de fonctionnement que cette dématérialisation entraîne, notamment sur la disparition du contact humain entre usagers et agents publics.

Le programme du gouvernement dénommé AP 2022 intègre cette potentielle contradiction et y ajoute deux éléments : la nécessité de diminuer le poids de la dépense publique (essentiellement mesurée en poids des prélèvements obligatoires sur la richesse nationale) et d’améliorer la qualité de service au public.

Le programme AP 2022, qui considère le numérique comme un des leviers clés pour « réformer l’administration » et « améliorer le service au public », fait de la dématérialisation un objectif en soi et beaucoup de ministères se sont déjà mobilisés.


3. Deux exemples de traduction de ces programmes dans la culture et l’urbanisme


Chaque ministère est tenu de faire aboutir au plus vite et avant 2022, des chantiers qui visent à répondre spécifiquement à ces enjeux de modernisation de l’action publique. Les démarches ambitieuses qu’ont lancées à un rythme très soutenu le Secrétariat général du Ministère de la Culture et la DHUP du Ministère de la cohésion territoriale et des relations avec les collectivités locales, s’inscrivent dans ce contexte.

Pour la Culture, il s’agit de simplifier et de supprimer des flux papiers avec ce qu’on appelle « les pétitionnaires ». L’objectif est de tendre vers 100% de démarches administratives numérisées à l’horizon 2022. C’est le programme « 100% Démat ».

Pour l’Urbanisme, il s’agit de limiter les flux papier très importants générés par le dépôt des dossiers « d’autorisation d’urbanisme » c’est-à-dire principalement des permis de construire, permis de démolir, certificats d’urbanisme, … C’est le programme « Démat ADS ».

Il s’agit, en filigrane, de développer un « État plateforme* » offrant des services numériques nouveaux et optimisés. Ceci implique de repenser, avec l’ouverture des données publiques notamment, les relations entre les citoyens et l’administration, et de transformer les méthodes de travail de la puissance publique.


4. L’usager est-il gagnant ?


Rappelons que la dématérialisation, au contraire de l’informatisation, concerne l’usager à deux étapes d’une procédure : la phase amont lors du dépôt d’une demande et la phase aval lors de la réception d’une décision (voire en cours d’instruction pour la communication de pièces complémentaires). Autrement dit, le cœur de l’instruction du dossier peut théoriquement être traité manuellement sans que l’usager en souffre directement, ni que le bénéfice pour lui soit amoindri.

Mais à ce stade, deux constats doivent être faits :

  • Le gain en efficience de la dématérialisation pour l’institution n’est effectif et visible que si l’ensemble du processus est numérisé sans qu’il y ait une impression de papier à un moment où un autre. S’il y a rematérialisation (courrier de rejet, impression pour signature, etc.) les gains disparaissent et le processus est souvent même plus chronophage qu’auparavant.

  • La dématérialisation des démarches est faite au bénéfice des usagers mais doit impérativement profiter préalablement aux agents afin que ceux-ci soient eux-mêmes acteurs de cette transformation. L’usager ne sera gagnant que si l’opérateur (agents ou cadres) y trouve également son compte.

Pour être réellement utile, pour que l’usager soit réellement gagnant, la dématérialisation doit concerner l’ensemble de la chaine, et donc l’ensemble des acteurs concernés, usagers comme agents.

Les études faites sur la démarche la plus anciennement dématérialisée en France (la déclaration d’impôts) montre que les usagers de cette démarche sont globalement très satisfaits des évolutions qui leur sont proposés depuis 10 ans par la DGFiP.

Mais ces études n’oublient-elles pas une frange significative de la population ?

Cinq catégories de citoyens ne considèrent pas la dématérialisation comme un progrès :

Les personnes qui habitent ou travaillent dans des zones blanches, les personnes très âgées, les personnes qui ne peuvent pas lire, les personnes qui ne lisent pas le français et enfin celles qui vivent en marge de la société.

Les deux premières catégories ont vocation à s’amenuiser, les zones blanches se résorbant progressivement et les nouvelles générations ne subissant pas ce problème quand elles vieilliront.

Pour les trois dernières, la fracture numérique est importante et restera difficile à combler. Mais observons que leur maitrise des démarches papier n’était pas forcément meilleure, et donc que la dématérialisation n’a seulement rien apporté. Une médiation restera toujours nécessaire.

En tout état de cause, la règle qu’il convient de conserver pour le moment est bien celle-ci : obligation pour l'administration de proposer un service dématérialisé, mais pas pour l'administré d'y avoir recours

Un autre écueil de la dématérialisation, tel que perçu par certains usagers, est la crainte d'une diminution des services proposés par l'administration (maillage du territoire, disponibilité des agents public pour le support aux démarches, etc.). La présence d’une offre de service public sur le territoire et la dématérialisation des process sont deux notions à distinguer. Si la dématérialisation, et donc l'automatisation de certaines de tâches, permet une rationalisation des process, elle n'est pas automatiquement le corolaire d'une réduction de l'offre de service, qui relève clairement d’orientations politiques indépendantes de la modernisation du fonctionnement de l’administration.


* Etat plateforme : concept qui signifie que l’Etat met à disposition des acteurs privés et publics des outils (plateformes numériques, interfaces, référentiels,… qui permettent aux différents acteurs de communiquer numériquement sans que l’Etat porte la responsabilité des contenus qui sont échangés.

bottom of page